La vulgarisation de l'effet papillon
a) Comment l'Effet papillon a été vulgarisé
La vulgarisation de l'effet papillon a commencé dès son début. Poincaré et Hadamard furent parmi les premiers mathématiciens à travailler sur les systèmes d'équations différentielles instables. Malgré les efforts de vulgarisation de Poincaré pour expliquer au grand public ce qu'est le travail de recherche fondamentale en mathématiques, l'effet papillon n'a pas marqué immédiatement les esprits en dehors de certains mathématiciens. Par exemple, La Science et l'Hypothèse écrit par Poincaré en 1902 est un ouvrage de divulgation qui fut tiré à des centaines de milliers d'exemplaires :
« Un dixième de degré en plus ou en moins en un point quelconque, le cyclone éclate ici et non pas là, et il étend ses ravages sur des contrées qu'il aurait épargné. » Le cyclone y est mais le papillon n'y est pas! Surement que Hadamard et Poincaré étaient trop en avance sur leur temps, et que la société n'était pas prête pour ce lourd changement dans la notion de déterminisme. De même pour les scientifiques, aucun chercheur n'y a réellement prêté attention à l'époque.
Il a donc fallu donc attendre que Lorenz développe une nouvelle stratégie de vulgarisation. En effet grâce à l'aide d'un journaliste (l'organisateur de sa conférence), ils ont vulgarisé l'effet en se posant ; « Un battement d'ailes de papillon au Brésil, peut-il déclencher une tornade au Texas ? » afin que la société et le monde qui l'entoure aient le moindre intérêt et fascination pour cette théorie. Cette alliance du nom papillon à la complexité de cet effet était improbable mais bel et bien réel ; c'est la vulgarisation de Lorenz. Celui-ci désirant propager sa théorie en écrivit un livre « the essence of Chaos » en 1993. https://fr.slideshare.net/hafsakamous1/the-essence-of-chaos
Près d'un siècle après que Hadamard et Poincaré eurent mis en évidence le caractère imprédictible de systèmes dynamiques non linéaires, nombreux sont les physiciens et mathématiciens qui se sont devenus chaoticiens, entraînant sur leur parcours nombre de biologistes, économistes, spécialistes des sciences sociales, philosophes, psychanalystes, journalistes et cinéastes. Les colloques et articles scientifiques pullulent : environ 900 en 1993 pour les seules sciences dures, selon l'INIST du CNRS.
Cependant, l'effet papillon frappe
aussi l'imagination, au point qu'un auteur de romans pour enfants en écrivit une variante: « Il existe en Chine une région sauvage où viennent se reproduire les
papillons. Des millions de papillons se déplacent par nuages entiers, comme des nuées de
sauterelles. Or, ces papillons présentent une particularité, ils naissent tous
exactement à la même minute et se mettent à battre des ailes tous en même
temps. Eh bien, croyez-le ou non, les chercheurs estiment que les
perturbations atmosphériques causées par tous ces battements d'ailes de
papillons provoquent une altération dans le ciel qui peut à son tour déclencher
un cyclone. »
Par ailleurs, le cinéma s'empare du sujet, Sidney Pollack réalise le film: "Havana", dans lequel Robert Redford surprend sa partenaire en lui contant qu'une libellule en mer de Chine peut provoquer un ouragan dans les Caraïbes. Dans Jurassic Park, la Dino-catastrophe est prédite par le mathématicien en évoquant l'existence d'un papillon chinois déclenchant une tempête sur New York.
Enfin dans le Nouvel Observateur, Jean-Edern Hallier explique comment un malheureux mot lui a occasionné une condamnation en appel à verser 1 million et demi de francs.
Donc chaque décision, chaque action oriente le devenir du monde. Isaac Asimov, auteur incontournable du 20ème siècle, écrit le roman : La course de la reine Rouge publié en 1949. L'un des extraits illustre lui aussi la théorie d'Hadamard et Poincaré, effectivement l'un des protagonistes fait allusion à l'effet papillon en d'autres termes.
« Je me renversai dans mon fauteuil et dis :
- Chef, est-ce que par hasard vous vous rappelez comment vous avez rencontré votre femme ? Était-ce à cause d'un incident sans importance ? Il dut penser que je sautais un peu brutalement du coq à l'âne. Qu'aurait-il pu penser d'autre ? Mais il était décidé à me laisser m'exprimer, à présent. Sans doute avait-il ses raisons. Il se contenta de sourire et répondit :
- J'ai éternué et elle s'est retournée. Cela s'est passé à un coin de rue.
- Comment se faisait-il que vous vous trouviez à ce coin de rue à ce moment précis ? Comment se faisait-il qu'elle y fût ? Vous souvenez-vous au juste pourquoi vous avez éternué ? Et où vous aviez attrapé le rhume ? D'où venait le grain de poussière fautif ? Imaginez combien de facteurs ont dû se rencontrer au bon moment et au bon endroit, pour que vous puissiez épouser votre femme.
- Sans doute nous serions-nous rencontrés une autre fois, si nous ne nous étions pas rencontrés à ce moment-là.
- Mais ça, vous ne pouvez pas en être sûr. Comment pouvez-vous savoir qui vous n'avez pas rencontré, parce qu'un jour quand vous auriez pu vous retourner, vous ne l'avez pas fait ; parce qu'un jour quand vous auriez pu être en retard, vous ne l'étiez pas. Votre vie bifurque à chaque instant, vous vous engagez dans telle ou telle voie presque au hasard, et tout le monde en fait autant. Sur vingt ans, les bifurcations vont en s'écartant à l'infini. Vous avez éternué, et vous avez rencontré une certaine fille. Et pas une autre. À la suite de cette rencontre, vous avez pris certaines décisions, de même que la fille en question, de même que la fille que vous n'avez pas rencontrée ; de même que l'homme qui a rencontré la fille que vous n'avez pas rencontrée ; de même que toutes les personnes que vous avez rencontrées par la suite. De même que votre famille, sa famille, leur famille et vos enfants. Parce que vous avez éternué il y a vingt ans, cinq personnes, ou cinquante, ou cinq cents personnes peuvent être mortes à l'heure qu'il est alors qu'elles seraient en vie si vous n'aviez pas éternué, ou le contraire. Reportez la chose deux cents, deux mille ans en arrière, et un éternuement même de la part d'un obscur personnage dont aucune histoire n'a jamais entendu parler aurait pu avoir comme conséquence qu'aucun de ceux qui sont vivants à l'heure actuelle ne le soit. »
Dans le film l'Effet Papillon d'Eric Bress sorti en 2004, le personnage principal a un don et décide de changer le passé afin de sauver sa petite amie mais cela entraîne de lourdes conséquences dans le présent.
Nous voyons donc que les vulgarisations ci-dessus ont pour but de divertir et non d'instruire le public. pour certains
b) Dans quel but l'effet papillon a été vulgarisé
Toute cette vulgarisation, depuis la découverte de l'effet papillon n'a qu'un seul but. En effet en 1973 le météorologue Edward Lorenz écrit un article nommé « Prédictibility : Does the flap of a Butterfly's wings in Brasil set off a Tornado in Texas ? » qui peut se traduire par : « Prédictibilité : le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? ». Il en découlera une conférence pour l'American Association for the Advancement of the science.
Au départ, Lorenz ne voulait pas
donner ce nom innovateur à sa conférence mais celui de « l'effet mouette »
qu'il avait trouvé auparavant en 1963. Cependant, un journaliste présent lors de
cet événement a voulu donner un nom plus attrayant que celui d'un simple oiseau
de mer. C'est donc lui qui donna en 1973 le nom de « l'effet papillon »
Durant cette conférence Edward Lorenz, ne voulant pas que l'on doute de son sérieux suite à la métaphore utilisée "un battement d'ailes au Brésil peut entraîner une tornade au Texas" présenta deux résultats différents :
- Si un seul battement d'ailes d'un papillon peut avoir pour effet le déclenchement d'une tornade, alors, il en va ainsi également de tous les battements précédents et subséquents de ses ailes, comme de ceux de millions d'autres papillons, pour ne pas mentionner les activités d'innombrables créatures plus puissantes, en particulier de notre propre espèce ;
- Si le battement d'ailes d'un papillon peut déclencher une tornade, il peut aussi l'empêcher. Si le battement d'ailes d'un papillon influe sur la formation d'une tornade, il ne va pas de soi que son battement d'ailes soit l'origine même de cette tornade et donc qu'il ait un quelconque pouvoir sur la création ou non de cette dernière.
Le fameux papillon qui déclenche une tempête à l'autre bout du monde est une image qui a fait fortune et a été reprise par tous les auteurs qui traitent du chaos. Il est devenu un symbole du chaos, un peu comme la pomme de Newton est devenue le symbole de la gravité ou le chat de Schrödinger celui de la mécanique quantique. Comme disent les spécialistes en marketing, « c'est un hit ». En effet, cette métaphore attrayante fut d'un grand succès à l'époque.
D'un côté, il y avait la science compliquée de l'effet papillon, inaccessible, pleine de mots étranges, de symboles illisibles et de concepts inabordables. De l'autre, se trouvait le « grand public » qui est intrigué et curieux, amusé mais rempli d'appréhensions ou de préjugés sur la science. Mais entre les deux il y a la vulgarisation de l'effet papillon qui essaie de faire en sorte que ces deux mondes différents se comprennent. De ce fait, le nom d'effet papillon pour représenter cette théorie ainsi que le nom de la conférence ont permis un accès plus simple au grand public à cette époque.
Toute préoccupation dédiée seulement à cette découverte n'avait donc qu'un seul réel but: la compréhension du grand public.
Qu'un simple papillon puisse représenter un théorème aussi complexe était incroyable. Le public s'y est donc fortement intéressé ce qui a mené à une vulgarisation intense de l'effet papillon, une mode s'est donc installée.
c) Les conséquences de cette vulgarisation
L'effet papillon a permis la diffusion du concept de chaos. Il s'agit donc d'un réel phénomène médiatique. Partie d'une simple phrase, elle est devenue une métaphore sociale. Son ampleur est considérable et inattendue. Les conséquences sociales sont bien évidement les plus importantes, accompagnées du premier domaine concerné, la météorologie.
En effet, nous pouvons noter des conséquences dans la discipline météorologique elle-même.
Dans un premier temps, cela a changé le rôle de la météo dans la société en faisant sa publicité. Le public y porte alors un intérêt grandissant, il l'appréhende de manière totalement différente. La météo occupe dès lors une place plus importante dans la société moderne car elle est plus précise et donc plus fiable. Avant elle ne se dirigeait quasiment qu'aux domaines professionnels (comme l'agriculture, la navigation, l'aviation).
Afin d'appuyer ces propos, il est alors intéressant de comparer des émissions de météo des années 60 à d'autres des années 80 (soit avant et après la découverte de l'effet papillon).
Dans les années 60 et le début des années 70, la météo n'intéressait personne. En effet, elle n'était certainement pas assez précise et n'était pas considérée comme fiable. De plus, à cette époque le bulletin météo était présenté à la télévision par des professionnels (des météorologues). Peu de moyens financiers et matériaux étaient investis là-dedans, la météorologie était délaissée et n'intéressait personne, pas même les grands patrons des médias. Guy de Larivière (monsieur météo de fin 60 début 70) l'illustre bien dans ses propos : « A une époque c'était quotidien, puis c'est redevenu hebdomadaire, pour repasser au quotidien. C'était assez chaotique. Je crois bien que les seuls qui nous regardaient fidèlement, c'étaient les agriculteurs. Parallèlement il y avait la diffusion de cartes, que nous préparions, et qui étaient commentées par des speakrines.»
Il faudra attendre la fin des années 70 pour que des présentateurs télés prennent cette place ; et c'est ici que nous pouvons faire le parallèle avec la découverte de l'effet papillon dont la conférence fût, rappelons-le, en 1973. Ceci marque de l'avant et après effet-papillon (avec les progrès technologiques des satellites, de la télévision...).
Voici pour ce qui était des conséquences sur le court terme. Plus actuellement, une autre piste de réflexion intéressante afin d'étudier les conséquences sur le long terme ; celui du réchauffement climatique. (Il s'agit d'hypothèses et de recherches personnelles).
« Les petites choses entraînent les grands événements », ce proverbe est entré dans la logique des sociétés développées d'aujourd'hui. Le fait qu'on admette sans se poser de questions que de petites actions de l'homme puissent entraîner de grandes répercutions sur le climat.
Nous pouvons émettre l'hypothèse que la vulgarisation et la divulgation de la théorie de l'effet papillon auraient influé dans la formation des esprits d'aujourd'hui. Des normes de réflexions se seraient intégrées avec le temps.
Mais cette vulgarisation n'a malheureusement pas eu pour conséquence directe la compréhension de la théorie. En effet, les gens qui la répètent ne savent, le plus souvent, absolument pas de quoi il retourne. Chacun se l'approprie (grâce à sa formulation poétique) et chacun la réinterprète. A la fin, plus rien n'a de sens et surtout ça n'a plus aucun lien avec la supposée science d'origine. Comme un téléphone arabe qui aurait mal fini. Mais toute vulgarisation n'est pas nécessairement une mauvaise traduction qui dénature le contenu scientifique. L'ouvrage de Poincaré par exemple, est une très bonne vulgarisation, fait par un très grand mathématicien. La vulgarisation n'est donc pas toujours une fausse traduction de ce qu'est réellement le sujet de base.